Voici la première critique de mon premier film Histoire(s) de jazz : le Hot club de Lyon (2011) publiée par Franck Bergerot, rédacteur en chef de Jazz Magazine et auteur de nombreux ouvrages sur le jazz : Miles Davis (Le Seuil) et Le jazz dans tous ses états (Larousse). Je souhaitais vous la faire partager.
Il arrive que parfois, lorsqu'on regarde un documentaire, on aimerait qu'il corresponde à ce qu'on en attend. Monsieur Bergerot ne mâche pas ses mots, même s'il n'a pas complètement tort sur tout. Je rappelle que c'était mon premier film et qu'il m'a permis de découvrir le jazz. Je n'avais aucunement la prétention de faire la chronologie du club ni de noyer les spectateurs dans un flot de noms de musiciens. Je voulais ce film vivant, pris sur le vif, tout simplement, et le faire partager aussi à des gens qui ne connaissaient rien au jazz, comme moi à cette époque-là. Ce qui me gêne dans le milieu du jazz, c'est ce flot de noms, de dates, d'érudition, de démonstration.
Le jazz, à mon sens, et même si je n'en suis pas une spécialiste, ce n'est pas ça. C'est avant tout des rencontres, des moments de vie partagées, de complicité, d'amour.
"À propos de souvenirs de Michel Perez évoquant le Hot Club de Lyon, j’annonçais dans mon blog du 19 février dernier la sortie du film d’Émilie Souillot Histoire(s) de jazz : le Hot Club de Lyon. Qu’une jeune femme dans le milieu de sa vingtaine, encore en master 2 en cinéma, se lance dans la réalisation d’un film sur le jazz, qui plus est sur l’histoire d’un club d’une grande ville de province, méritait d’être salué et signalé à nos lecteurs. Un film sur la mémoire nous est-il précisé avant que ne commence la projection privée à laquelle nous étions invités ce matin 23 mars au studio Galande. Entrée en matière poétique, errance d’une jeune femme (la réalisatrice ?) dans les rues de Lyon jusqu’aux portes du Hot Club où elle descend. Un orchestre joue… Puis commence la ronde des témoignages entrecoupée de scènes musicales.
On a bien compris la difficulté à laquelle s’est heurtée Emilie Souillot dans son projet de retracer la mémoire de ce club de jazz âgé de 60 ans : l’absence d’archives filmées. Et pour un premier film, le pari n’était pas des moindres. Il n’en reste pas moins que tous ces gens qui sont invités à parler – fidèles, membres actifs, présidents, musiciens – ne nous font pas tellement partager leur aventure. Leurs propos décousus sont jetés à la fourche sur l’écran, sans effort d’une géographie, d’une chronologie, d’un panorama esthétique. À peine sait-on qui parle ? Et lorsque l’on nous montre Jean-Louis Billoud écoutant un morceau, on oublie de nous rappeler qu’il est contrebassiste, peut-être même le contrebassiste, voire le compositeur ou le chef d’orchestre, du morceau qu’il écoute. Le plus étonnant, c’est que, à part quelques anecdotes, aucun de ces témoins n’arrive à nous parler des musiques et des musiciens qu’ils ont entendus là. Comme si ces musiques n’avaient pas d’histoire, l’Histoire du jazz au Hot Club de Lyon se résumant à une succession d’adresses, de présidents et de membres actifs.
Quant aux jeunes musiciens que l’on aperçoit de temps à autre à l’écran, on ne découvrira leurs noms qu’au générique, et encore, sans mention de leurs instruments. Comme s’ils étaient de simples figurants. Or, le Hot Club de Lyon, ce sont eux aujourd’hui, comme ce fut autrefois Jean-Louis Billoud et bien d’autres. Qu’Émilie Souillot se soit laissée attendrir par les souvenirs de ces papys du swing est bien légitime, mais elle ne pouvait s’en tenir là. Jean-Louis Billoud et ses amis n'ont pas que des souvenirs. Ils ont un héritage qu'ils ont légué à une descendance. Sauf à donner de Lyon la réputation d’une ville morte au jazz ou à détourner les amateurs de jazz du Hot Club pour les faire fuir vers le Périscope, le club qui monte à Lyon ces dernières années. Car Lyon est l’une des villes les plus actives dans le domaine du jazz en France, une activité que le Hot Club partage avec d'autres acteurs (de l'historique Arfi au jeune Grolektif), une vitalité qui est née au Hot Club, mais qui doit aussi au travail de l'ARFI ou à l'enseignement de Jean Cohen à Villeurbanne. Elle repose aujourd'hui sur de nombreux échanges avec toute la vallée du Rhône et toute la région Rhône-Alpes, de Mâcon à Montpellier, de Grenoble à Marseille. Les programmes du Hot Club, comme ceux du Périscope, se nourrissent de ces échanges qui remontent jusqu’à la Basse Normandie à travers le Crescent de Mâcon ou jusqu’à la classe de jazz du Conservatoire national de Paris dont on reconnaissait à l’écran l’un des étudiants actuels, le saxophoniste John Boutelier, fils de Jean-Paul, patron de Jazz à Vienne à trente kilomètres au sud (il est curieux que ne soit pas évoqué cette proximité-là, ni d'autres, comme si le Hot Club avait vécu coupé du monde, ce que laisse à penser le film).
Bref, faire un film n’est pas une mince affaire, et celui-ci nous paraît être une occasion ratée. Restent des images souvenirs qui ne parleront qu’aux habitués du Hot Club, voire à ses seuls membres actifs. Savoir que ce film sera projeté lors du colloque Histoire du jazz en France organisé à Lyon par Philippe Glumpowicz du 23 au 25 mars me fait froid dans le dos."
Franck Bergerot (publiée dans Jazz Magazine, en avril 2011).
*Photo (Philippe Roche, guitariste), tirée du film Histoire(s) de Jazz : le Hot Club de Lyon