Ici, je révèle ma conception du tournage et du montage dans la fabrication du film documentaire Histoire(s) de jazz : le Hot club de Lyon : intuition, organisation, improvisation.
Le tournage
Le tournage a une part d’intuition. Je mets en place, j’organise des éléments. Et je laisse les choses se faire. Je fais confiance aux gens. Je fais confiance à leur vie, à leurs histoires qu’elles soient drôles ou non.
« On fait avec et on construit avec (…) le documentaire (…) c’est faire confiance à ce qui se passe. » (Mariana Otero) (1) .
Je pense qu’il n’y a pas de mauvaises histoires. Chaque personne a son histoire à raconter.
Le montage : un acte créatif et improvisé
Le montage est le moment où tout se met en place, où l’on découvre d’autres éléments qu’on n’avait pas décelés pendant le tournage. C’est le moment que je préfère et que je trouve très proche du jazz. J’ai une démarche relativement intuitive qui se rapproche de l’improvisation. J’essaie de faire dialoguer les différentes séquences entre elles. Il y a le thème dans le jazz, ce moment sur lequel tout le monde s’accorde, un peu comme une ligne directrice qu’il faut avoir dans le montage pour ne pas perdre le spectateur et il y a le solo où chacun s’exprime, dialogue, c’est l’instant où la liberté prend le dessus sur la contrainte. Il y a également un autre moment, celui des pauses, où l’on peut respirer, où on laisse divaguer son esprit. Ce n’est pas fréquent de voir cela dans la plupart des films et c’est bien regrettable. Il est plaisant d’entendre un solo de saxophone, un vrai solo où tout le monde s’arrête de jouer pour ne laisser qu’un seul son se perdre dans l’intensité du moment…
Le choix de la musique de jazz
Il y a ce côté “organisé”, c’est-à-dire « toi tu fais çà et moi je joue çà, tu reprends sur le chorus, là tu fais ton solo... » Et en même temps il y a un moment où l’on découvre quelque chose, où naît le frisson. En même temps, on trouve ce côté « bordélique » que j’aime, où les musiciens se parlent entre eux en jouant pour se dire où reprendre, ou bien une idée qui jaillit et qui veulent faire partager. Puis cet instant qui surprend, cette impression que le musicien joue pour nous seuls, le temps qui s’arrête, le trompettiste fait son solo, silence du public. C’est tout cela le jazz et je me suis rendu compte que c’était très proche de ma manière de concevoir un film documentaire. Pour moi, il est inconcevable de rendre un scénario complet du film avant qu’il ne soit fait. Il s’écrit pendant le tournage et prend tout son sens pendant le montage. Avant le tournage, j'avais préparé quelques séquences à tourner, je savais dans quelle direction aller : scène de l'écoute avec Billoud, rencontre entre anciens et jeunes du Hot club le dimanche, la question "et Boris Vian ?" que j'ai posé à tout le monde, les concerts filmés en plans séquences dont ma première vision d'un Big Band immortalisée dans le film, l'histoire sur Chet Baker etc. Mes recherches avant le tournage, l'enquête menée sur le Hot Club car c'est vraiment une sorte d'enquête que l'on mène lorsque l'on fait un film, m'a permis de collecter un tas d'information sur ce lieu. J'ai pris beaucoup de notes. Il m'était donc plus facile de poser les questions et de pouvoir échanger et me laisser surprendre avec les personnes filmées le jour du tournage. Pour moi, faire un documentaire, c'est se laisser prendre dans une vie qui se crée au fur et à mesure puis d'en comprendre les mécanismes au montage.
Choix d'une démarche non-chronologique
Il y a eu un film documentaire de 52 minutes produit par Y.N Productions et réalisé par Jérôme Duc-Mauge intitulé Hot club de Lyon. Il retrace un petit historique du Hot club. On peut voir notamment le regretté Raoul Bruckert, personnage emblématique du Hot club puisqu’il a participé à la création en 1948. Il est malheureusement décédé. Je ne voulais pas tomber dans une démarche historique avec les dates et les événements associés.
Ce qui m’intéressait avec le Hot Club, c’était de dévoiler quelques petites histoires du lieu racontées par ceux qui les ont faites et ceux qui y ont participé. Pour moi, ce qui fait un lieu, c’est ce qu’il a vécu. Ce qui s’est passé à l’intérieur de ses murs. Je ne suis pas à la recherche d’une vérité mais de plusieurs vérités qui appartiennent à chacun.
Car il faut le dire, on ne pourra rien vérifier. Le jazz est un phénomène de l’instant. Ses histoires appartiennent aux légendes toutes transformées et réinterprétées par chacun. Ce qu’on va filmer ne sera jamais retranscrit correctement. Car il faut absolument avoir vécu le jazz pour bien le raconter. Et moi je ne l’ai pas vécu. Alors je ne fais que proposer un documentaire sur les petites histoires du Hot Club de Lyon racontée par les derniers hommes qui ont vécu cette histoire. L’âge d’or du jazz s’est passé dans les années 50 et peu d’entre eux sont présents aujourd’hui pour le raconter. C’est la raison pour laquelle je ne peux prétendre à adopter une démarche historique. Toutefois, je lance l’idée à quelqu’un de s’atteler à ce projet car la matière est énorme. Il serait intéressant d’aller consulter les archives de Monsieur Raoul Bruckert disponible chez son fils Frédéric. Il possède trois gros classeurs avec des articles de journaux de l’époque et des photos originales. Il y a également toute une série de cassettes VHS situées sous les escaliers du Hot Club qui sont entrain de prendre la poussière et l’humidité et qui mériteraient d’être stockées sur DVD avant de disparaître. Le Hot Club, c’est une mine d’or d’Histoire. Il organisa des concerts mythiques avec les grands jazzmen des années 50. Il a permis à la ville de Lyon et ses régions environnantes de voir en représentation des artistes venant de l’autre côté de l’Atlantique. Il serait intéressant d’écrire un livre précis et singulier comme le lieu le mérite avec ses heures de gloire et ses déboires. Plusieurs s’y sont frottés mais sans succès. À l’heure d’aujourd’hui, aucun livre sur ce lieu n’existe.
[1] Le Style dans le cinéma documentaire (n°4), L’Harmattan, Paris, 2005. Entretiens et contributions sur le thème « La Part du style », suivis des scénarios « Secret de famille » de Mariana Otero et « Fragment sur la grâce » de Vincent Dieutre.
Photos extraites du film Histoire(s) de Jazz : le Hot Club de Lyon.