Mémoires du Hot Club de Lyon - article publié en avril 2011 sur le site Jazzmagazine.com par Martin Guerpin.
Histoire(s) de Jazz : le Hot Club de Lyon, Émilie Souillot (2011)
Un club de jazz, c’est un peu comme un volcan. Les soirs de concert, il rugit d’une vie aussi intense qu’éphémère. Une fois assoupi, il redevient une cave de pierre froide, sombre et inerte, où résonne une histoire musicale et humaine. Telle est la sensation que suscite Histoire(s) de Jazz : le Hot Club de Lyon, première réalisation d’Émilie Souillot. Telle est aussi l’impression que laissent ceux qui, jeunes ou anciens, ont fait et font encore vivre ce club.
Car ce sont bien eux qui sont mis en avant par Émilie Souillot, et non pas une histoire désincarnée : pas de voix off anonyme superposée à l’image, pas de plan chronologique rigoureux, pas de contextualisation, pas d’identification systématique des photographies, des personnes interrogées, des musiciens, où des morceaux entendus (tous référencés dans le générique de fin). On pourra peut-être le regretter, mais le but d’Histoire(s) de Jazz : le Hot Club de Lyon n’est pas didactique. La démarche est plus originale : introduire l’âme d’un film dans le corps d’un documentaire. Plutôt que de retracer les différents déménagements subis, tout au long de son histoire, par le club, Émilie Souillot juxtapose, dans l’esprit du Petit Journal de Yann Barthès, deux versions assez différentes de l’installation du Hot Club dans ses premiers locaux. C’est la mémoire qui est filmée, dans tout ce qu’elle a de sélectif, de lacunaire et d’imprécis. Aucun des interlocuteurs ne se souvient, ou ne veut se souvenir (allez savoir pourquoi), des passages de Boris Vian au Club. Pas d’historien dans ce film ; mais des passionnés.
S’affranchir des codes du documentaire historique ouvre de nouveaux horizons. Émilie Souillot a voulu filmer l’amour du jazz. Pari réussi. De longs plans-séquences, sont consacrés au récit d’anecdotes sans doute déjà maintes fois relatées et souvent comiques. On y voit les visages s’illuminer comme s’ils revivaient la scène. La plupart des membres du Club semblent, aujourd’hui encore, se ressourcer dans le souvenir d’un âge d’or, celui des années 1960-1970. Quant aux plus jeunes, ils paraissent plus réservés, moins enthousiastes, mais très bons instrumentistes.
Émilie Souillot nous les donne à voir en train de jouer. Là encore, elle ne semble pas s’être encombrée d’un manuel du parfait caméraman de concert. La caméra semble découvrir la musique. Au lieu d’être en phase avec la structure musicale, elle s’attarde sur le visage rêveur de ceux qui ne jouent pas, ou capte le moment d’agacement fugace qui se décèle sur le visage d’un guitariste venant de rater l’une de ses phrases. Ces moments font aussi partie du jazz.
Histoire(s) de Jazz : le Hot Club de Lyon n’a rien d’un documentaire conventionnel. Peut-être quelque peu désordonné (les mêmes thèmes vont et reviennent), parfois ralenti par de longs plans contemplatifs, il a le mérite de rendre palpable et communicable aux non-initiés ce qu’est la jazzophilie : une passion, mais aussi un mode de vie.
Une jeune réalisatrice s’intéresse au jazz. Elle a du talent. Encourageons-la !
Martin Guerpin.