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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 15:43

 

logo riff

 

LISE BERTRAND, muséologue : commissaire de l’exposition Riff
Après un baccalauréat en histoire de l’art à l’Université de Montréal et une formation complémentaire en muséologie et en gestion de projets, Lise Bertrand a accumulé vingt-neuf années d’expérience en direction artistique, direction d’équipes multidisciplinaires, conception et réalisation d’expositions à caractère thématique. Elle travaille au Musée de la civilisation de Québec depuis bientôt vingt ans à titre de chargée de projet d’expositions.
piano.png

Emilie Souillot  : Combien de temps avez-vous mis pour monter cette exposition ?

Lise Bertrand : Il nous a fallu 10 mois de construction. J’ai cherché à travers le monde des expositions en rapport avec la musique. Aux Pays-bas, au Museum Volkenkunde de Leiden (Pays-Bas), il y avait l’exposition Music in Motion. Je m’y suis rendue. Mais en la voyant, j’ai compris que ça ne conviendrait pas. On expliquait comment la musique avait voyagé dans le monde à travers plusieurs pays. Ce qui ne correspondait pas à notre public. Mais il y avait une petite introduction sur comment la musique noire avait voyagé de l’Afrique à l’Amérique ? Ca s’appelait du Mali à Memphis et on pouvait voir quelques photos, des archives... j’ai trouvé que c’était riche et que cela concernait les Amériques . Lorsque je suis rentrée fin mai 2009 de Lieden, on a décidé d’adapter cette petite partie de leur exposition. J’ai cherché un expert pour faire les recherches. Je suis allée à l’Université Laval et j’ai rencontré Gérald Côté (1). Il avait déjà beaucoup de matériels, avait accumulé des tas d’archives... Il est ethno-musicologue et professeur à l’Université de Sherbrook et il a publié des ouvrages sur l’histoire du jazz et du blues. Début juin, on a commencé à travailler ensemble sur le contenu de l’exposition. Un an après, on ouvrait les portes au grand public. Pour une exposition de cette ampleur, on met habituellement 2 ans à la monter.

Emilie Souillot  : Comment s’est déroulé le travail du contenu afin de rendre cette exposition aussi accessible au grand public ?

Lise Bertrand  : Je me suis mise dans la peau de quelqu’un qui ne s’y connaissait rien. Ce qui a permis à Gérald de vulgariser ses dires. Comment peut-on expliquer ce qu’est un riff, comment peut-on le retrouver dans les différents styles de musique ? Je lui posais pleins de questions car je ne suis pas une spécialiste de musique. J’ai découvert tout cet héritage qu’on a de l’Afrique en faisant cette exposition. En se mettant au niveau du spectateur, ça permet de mieux comprendre l’essence de cette évolution musicale. J’ai pu découvrir que certains de nos musiciens québécois s’étaient inspirés de cette musique.

Emilie Souillot  : Qui a fait le design de l’exposition ?

Lise Bertrand  : C’est Elisabeth Moisan. Beaucoup de personnes ont travaillé sur cette exposition. Quand on fait des réunions pour l’exposition, tout le monde est là. On interagit ensemble. Je voulais un écran qui donne une immersion complète dans l’image (voir l’écran géant où étaient projetés les morceaux de concert de musiciens, chanteurs). Quelqu’un d’autre a proposé que les gens ressentent les vibrations de la musique dans les sièges. On ne travaille pas tout seul dans notre coin. C’est un vrai travail d’équipe.

ecran cinema

Emilie Souillot  : Dans Riff, on entre dans la pénombre, on découvre de la lumière, on s’asseoit sur un fauteuil pour écouter de la musique comme dans un club ou un concert, (manque plus qu’un verre pour y croire encore plus). Le contenu est très riche. Je me souviens des petits écrans alignés contre le mur où il y avait toute une chronologie détaillée sur le jazz, le blues la musique latino etc..., avec des repères de dates, biographies, photos et extraits sonores que l’on pouvait consulter seul ou à deux avec un casque, un peu comme à la bibliothèque. Je pense qu’il est très important que le spectateur soit participant. La plupart des personnes retiennent mieux les informations qu’on leur propose lorsqu’on leur donne la possibilité de participer. En faisant quelque chose il y a une empreinte qui se dépose à l’intérieur de notre corps et qu’on ne peut pas oublier. Après il est vrai qu’il faut prendre en compte le budget.

Lise Bertrand  : Les droits ont coûté très cher pour l’exposition. On s’est privé de pas mal d’archives intéressantes car les droits étaient trop élevés. Par exemple, on souhaitait mettre un extrait d’un concert d’Elvis à Hawaï, c’était fabuleux mais trop cher. On a dû renoncer. On voulait un extrait du film This is It (le documentaire sur la préparation du dernier concert de Mickael Jackson avant sa mort). Mais au moment de préparer l’exposition, le décès de Mickael Jackson venait d’arriver (25 juin 2009) et les droits étaient trop chers. Sur les 5 écrans où sont projetés les documentaires, on avait trouvé un extrait intéressant mais on ne trouvait pas les ayants droits. On a engagé une compagnie pour faire toutes ces recherches.

Emilie Souillot  : On se rend compte de l’envie que vous aviez de montrer certains artistes ou extraits de film, mais la question des droits à l’image et d’exploitation, s’avère souvent trop complexe et interdit ainsi  la connaissance de ces archives au grand public.

Lise Bertrand : Certains musées achètent une licence à des gestions parallèles de droits c’est le cas du musée de Leiden et ça ne leur a quasiment rien coûté.

Emilie Souillot  : Dans l’exposition, vous projetez 5 documentaires sur la musique, projetés sur 5 écrans à presque 180°. Lorsque l’on passe d’un documentaire à l’autre, il y a des dessins de sable qui viennent créer des formes, trompettes, musiciens, vagues....et qui se construisent, qui semblent s’inventer en passant d’un écran à l’autre, en se prolongeant...

Lise Bertrand  : C’est l’artiste Chloé Poirié-Sauvé (2) qui a conçu ces dessins de sable.

dessins sablesPour faire les cinq documentaires on a engagé trois réalisateurs. C’était surtout du montage d’archives avec voix-off. On a souhaité plusieurs réalisateurs afin d’avoir un regard différent et on leur a laissé une grande liberté dans leur création. Sur les cinq films un seul n’a pas de narration. Le réalisateur voulait que les images parlent d’elle-même mais on lui a dit qu’on ne comprenait pas, il a fallu ajouter une narration en trouvant un compromis : des cartons. C’était bien, ça venait couper un peu. Et puis pour relier les différents documentaires, on a fait appel à Chloé Poirier-Sauvé.

trompette-Miles-Davis.pngEmilie Souillot  : On pouvait découvrir de vrais instruments de musiciens comme la trompette de Louis Armstrong, la trompette rouge de Miles Davis, la guitare de Chuck Berry, Jimmy Hendrix, Muddy Waters mais aussi des vêtements : le blouson d’Elvis, la cape de James Brown, La robe d’Ella Fitzgerald, le blouson de Mickael Jackson... Tout est entreposé dans des vitrines comme dans les magasins...sauf qu’on ne peut ni les essayer ni les acheter... Comment est venue cette idée ?

Lise Bertrand  : On n’avait pas le choix. Les vêtements et les instruments ont été obligés d’être présenté en vitrine pour des raisons de sécurité, de sauvegarde et de conservation. La robe d’Ella Fitzgerald était très fragile. Les matières s’abîment avec le temps. Il a fallu prendre en photo chaque étape de mise en mannequin pour rassurer les différents organismes qui nous avaient prêté cette collection. Je trouvais très important que les amateurs de musique puissent voir et être proches de leurs idoles. Je pense qu’il fallait satisfaire les visiteurs. J’ai donc engagé la conservatrice Andrea Hauenschild pour trouver des instruments et des vêtements. Pour obtenir la trompette rouge (voir photo ci-contre) de Miles Davis par exemple, La Cité de la Musique à Paris nous a aidé en nous donnant le nom d’une fondation qui possédait les trompettes de Miles. Ils étaient entrain de monter l’exposition sur Miles Davis donc ils avaient pas mal de pistes.

Emilie Souillot  : Parlez-moi de l’atelier musical dans l’exposition Riff ...

Lise Bertrand  : On faisait faire au public, surtout aux enfants, un riff afin de leur faire comprendre ce que c’était. Ils pouvaient superposer les instruments et improviser. Tout le monde était placé autour d’une grande table.

Emilie Souillot  : L’exposition Riff a eu beaucoup de succès...Quels sont vos projets pour la suite ?

Lise Bertrand  : Oui, je dois dire humblement qu’elle a été plus que populaire, les visiteurs ont tous été unanimes, je crois que c’est un record de satisfaction ! On prépare actuellement une autre exposition...

Emilie Souillot  : Aurons-nous la chance de voir l’une de vos merveilleuses expositions en France ?

Lise Bertrand  : Notre directeur général est Monsieur Michel Côté qui occupait encore le poste de directeur général du Musée de la Confluence (3) à Lyon début 2010. Il est très attaché à cette ville...

Emilie Souillot  : Tout est possible, donc. Je vous remercie d’avoir pris un peu de votre temps. Bonne continuation.

 

Cet entretien a été réalisé dans le cadre de mes recherches sur le jazz le mardi 26 avril 2011.

 

[1] Gérald Côté est co-concepteur de l’exposition Riff avec Lise Bertrand.

[2] Chloé Poirier-Sauvé est une artiste multidisciplinaire. Elle fait beaucoup de performances dont des Body Painting. Visiter son site :  http://www.chloepoiriersauve.com/   Elle fait aussi des films. Je vous invite à visionner son court-métrage très touchant sur le monde artistique, sur le fait d’être multi, inter, au carrefour de plusieurs arts etc.

[3] Le Musée de la Confluence (ancien Musée d’Histoire Naturelle) situé à Lyon est en pleine construction, il s’agit d’un musée thématique et pluridisciplinaire de sciences et de sociétés, ayant des affinités certaines avec le Musée de la Civilisation.

 

Présentation de l'exposition avec quelques repères de dates ici.

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commentaires

J
<br /> <br /> Interview très intéressante. Tu m'en avais déjà parlé, et en effet, ça avait l'air d'être génial ! J'aime beaucoup<br /> quand tu dit : "En faisant quelque chose il y a une empreinte qui se dépose à l’intérieur de notre corps et qu’on ne peut pas oublier." C'est très juste, et plus joli que le terme<br /> "ingurgiter" utilisé dans la phrase précédente. Car là, on est plus proche de la poésie et de la magie que de la propagande mercantile.<br /> <br /> <br /> <br />
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Ce premier film de la collection Histoire(s) de Jazz est consacré au Hot Club de Lyon, fondé il y a plus de 60 ans. Réalisé et monté par Emilie Souillot en 2010, il dure 52 minutes.

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"C'est seulement lorsque l'homme blanc aura détruit la forêt entière, lorsqu'il aura tué tous les poissons et tous les animaux et aura asséché toutes les rivières qu'il s'apercevra que personne ne peut manger l'argent." Raoni, chef de la tribu des Kayapos.

Malgré tous les efforts de Raoni et du soutien de tous, rien n'empêchera la construction du barrage Belo Monte en Amazonie Brésilienne, le 3ème plus gros au monde, qui va tuer plusieurs espèces animales, continuer d'abîmer la forêt amazonienne et faire déplacer des milliers de populations indigènes qui savent encore vivre avec la nature et sans avoir besoin d'argent. Le 1er juin 2011, le feu vert a été donné pour sa construction mais on peut encore faire quelque chose, continuer d'encourager tous les efforts de ces peuples qui ne veulent pas perdre leur tradition, qui veulent vivre en harmonie avec la nature encore longtemps. Signez la pétition, afin que nos idées et nos soutiens puissent encore vouloir dire quelque chose dans un monde qui devient sourd.

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